Dans le monde des sociétés, la libération progressive du capital social peut parfois donner lieu à des situations délicates lorsque certains actionnaires ne respectent pas leurs engagements. Le traitement des actionnaires retardataires et défaillants constitue un enjeu majeur pour préserver l’équilibre financier et juridique de l’entreprise. Cette problématique, encadrée par des dispositions légales strictes, nécessite une approche rigoureuse tant sur le plan procédural que comptable.
Sommaire
Définition et contexte juridique
Distinction entre actionnaires retardataires et défaillants
La distinction entre actionnaires retardataires et défaillants repose sur la gravité et la durée du manquement à l’obligation de libération du capital.
L’actionnaire retardataire est celui qui ne verse pas les fonds appelés dans les délais impartis mais qui régularise sa situation après avoir reçu une mise en demeure. Il reste dans une situation de retard temporaire, généralement résorbée dans un délai raisonnable.
L’actionnaire défaillant est celui qui, après avoir reçu une mise en demeure restée sans effet pendant au moins 30 jours, persiste dans son refus ou son incapacité à libérer les fonds appelés. Cette qualification déclenche une procédure plus lourde pouvant aboutir à la vente forcée de ses actions.
Fondements légaux et réglementaires
Le traitement des actionnaires défaillants trouve ses fondements dans le Code de commerce, notamment aux articles L. 228-27 et R. 228-24 à R. 228-25. Ces dispositions s’appliquent aux sociétés par actions (SA, SAS, SCA) et établissent un cadre procédural rigoureux pour protéger les intérêts de la société et des créanciers.
Procédure légale de traitement
Étape 1 : La mise en demeure
La mise en demeure constitue le préalable obligatoire à toute action contre l’actionnaire défaillant. Elle doit respecter un formalisme strict :
- Forme : Lettre recommandée avec accusé de réception
- Contenu : Identification précise de l’actionnaire, montant dû, délai accordé
- Délai : Au minimum 30 jours pour permettre à l’actionnaire de régulariser sa situation
Cette mise en demeure fait courir les intérêts de retard au taux légal.
Étape 2 : La procédure de vente
Après expiration du délai de 30 jours, la société peut engager la procédure de vente des actions non libérées.
La vente s’effectue selon deux modalités selon que les actions sont cotées ou non :
- Actions non cotées : Vente aux enchères publiques par un prestataire de services d’investissement ou un notaire
- Actions cotées : Procédure d’exécution en bourse selon les règles du marché
Traitement Comptable
Le traitement comptable des actionnaires défaillants mobilise plusieurs comptes spécifiques du Plan Comptable Général :
Compte | Intitulé | Utilisation |
---|---|---|
4566 | Actionnaires défaillants | Compte principal de suivi |
45621 | Actionnaires – Capital souscrit et appelé, non versé | Transfert vers 4566 |
1012 | Capital souscrit – appelé, non versé | Constatation des libérations |
1013 | Capital souscrit – appelé, versé | Constatation des libérations |
763 | Revenus des autres créances | Intérêts de retard |
791 | Transferts de charges d’exploitation | Frais de procédure |
44571 | TVA collectée | TVA sur frais facturés |
Cas pratique :
La société ALPHA SA, spécialisée dans la fabrication d’équipements industriels, a été constituée le 1er janvier N avec un capital social de 200 000 €, divisé en 2 000 actions de 100 € chacune, intégralement souscrites par différents actionnaires. Le capital est libéré progressivement, par appels successifs de fonds (quarts).
Au 1er juin N+1, le conseil d’administration décide d’appeler le 4e quart du capital, soit 25% restants, correspondant à 50 000 € (2 000 actions x 100 € x 25%). La date limite de versement est fixée au 30 juin N+1.
Un actionnaire, Monsieur Dupont, détenteur de 200 actions (soit 10% du capital), ne répond pas à l’appel du 4e quart dans les délais impartis, malgré une relance par lettre recommandée avec accusé de réception. Après expiration du délai légal de 30 jours suivant la mise en demeure, la société procède à la vente de ses actions. Les titres sont cédés à un nouvel investisseur pour un prix total de 23 000 €. Des intérêts de retard de 250 € et des frais de procédure de 150 € HT (soit 180 € TTC avec TVA à 20%) sont mis à la charge de l’actionnaire défaillant.
1) Appel du 4e quart (01/06/N+1)
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
45621 | Actionnaires – Capital souscrit et appelé, non versé | 50 000 | |
109 | Actionnaires – Capital souscrit, non appelé | 50 000 | |
Appel du 4e quart |
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
1011 | Capital souscrit – non appelé | 50 000 | |
1012 | Capital souscrit – appelé, non versé | 50 000 | |
Constatation de l’appel |
2) Versement des autres actionnaires (05/06/N+1)
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
512 | Banque | 45 000 | |
45621 | Actionnaires – Capital souscrit et appelé, non versé | 45 000 | |
Versement des autres actionnaires |
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
1012 | Capital souscrit – appelé, non versé | 45 000 | |
1013 | Capital souscrit – appelé, versé | 45 000 | |
Constatation de la libération |
3) Constatation de la défaillance (01/08/N+1)
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
4566 | Actionnaires défaillants | 5 000 | |
45621 | Actionnaires – Capital souscrit et appelé, non versé | 5 000 | |
Constatation de la défaillance |
4) Vente des actions (15/08/N+1)
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
512 | Banque | 23 000 | |
4566 | Actionnaires défaillants | 23 000 | |
Vente des actions |
5) Facturation des intérêts et frais (20/08/N+1)
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
4566 | Actionnaires défaillants | 430 | |
763 | Revenus des autres créances | 250 | |
791 | Transferts de charges d’exploitation | 150 | |
44571 | TVA collectée | 30 | |
Facturation des intérêts et frais |
6) Constatation de la libération (20/08/N+1)
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
1012 | Capital souscrit – appelé, non versé | 5 000 | |
1013 | Capital souscrit – appelé, versé | 5 000 | |
Constatation de la libération du défaillant |
7) Remboursement du solde (25/08/N+1)
Calcul du solde à rembourser : 23 000 € (prix de vente) – 5 000 € (montant dû) – 250 € (intérêts) – 180 € (frais TTC) = 17 570 €
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
4566 | Actionnaires défaillants | 17 570 | |
512 | Banque | 17 570 | |
Remboursement du solde à l’actionnaire défaillant |
Actionnaires retardataires
Lorsque l’actionnaire régularise sa situation après la mise en demeure mais avant l’expiration du délai de 30 jours, il demeure qualifié de retardataire. Dans ce cas :
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
512 | Banque | 5 250 | |
45621 | Actionnaires – Capital souscrit et appelé, non versé | 5 000 | |
763 | Revenus des autres créances | 250 | |
Libération avec retard et intérêts |
Foire aux Questions (FAQ)
Quel est le délai minimum pour qu’un actionnaire soit considéré comme défaillant ?
Un actionnaire est considéré comme défaillant après l’expiration d’un délai de 30 jours suivant une mise en demeure restée sans effet. Ce délai est un minimum légal qui ne peut être réduit.
Les intérêts de retard sont-ils dus automatiquement ?
Oui, les intérêts de retard sont dus de plein droit dès le premier jour de retard, sans qu’il soit nécessaire de prouver un préjudice. Le taux applicable est le taux d’intérêt légal en vigueur.
Peut-on cumuler la procédure de vente avec une action en paiement ?
La procédure de vente forcée n’exclut pas une action en paiement complémentaire si le produit de la vente est insuffisant pour couvrir la créance.
Comment calculer les frais de procédure ?
Les frais de procédure comprennent les coûts réels engagés par la société : frais de mise en demeure, frais de publication, frais de vente, etc. Ils doivent être justifiés et proportionnés.
Un actionnaire défaillant peut-il contester la procédure ?
Oui, l’actionnaire défaillant peut contester la procédure devant les tribunaux, notamment si les formalités légales n’ont pas été respectées ou si les montants réclamés sont contestables.
Que se passe-t-il si personne ne se porte acquéreur des actions ?
Si la vente reste infructueuse, la société peut soit renouveler la procédure, soit exercer une action en paiement de droit commun contre l’actionnaire défaillant.
Les actions vendues conservent-elles leurs droits aux dividendes ?
L’acquéreur des actions devient titulaire de tous les droits attachés aux actions, y compris les droits aux dividendes futurs. Il devient également redevable des appels de fonds ultérieurs.
Conclusion
Le traitement des actionnaires retardataires et défaillants constitue un mécanisme essentiel pour préserver l’équilibre financier des sociétés. Cette procédure, encadrée par des dispositions légales strictes, nécessite une approche rigoureuse tant sur le plan juridique que comptable.
La maîtrise de ces mécanismes s’avère indispensable pour les dirigeants et leurs conseils, permettant de sécuriser les opérations sur le capital et de protéger les intérêts de l’ensemble des parties prenantes. La dimension préventive ne doit pas être négligée : un dialogue anticipé avec les actionnaires et une gestion proactive des appels de fonds permettent souvent d’éviter ces situations délicates.