Créances irrécouvrables : Guide pratique pour maîtriser leur traitement comptable et fiscal

⚡ Résumer cet article avec :

Sommaire

Les créances irrécouvrables représentent l’une des problématiques les plus délicates auxquelles sont confrontées les entreprises dans leur gestion financière quotidienne. Lorsqu’un client ne parvient plus à honorer ses engagements, transformant ainsi une créance légitime en perte définitive, l’entreprise doit adopter une approche rigoureuse pour traiter cette situation tant sur le plan comptable que fiscal. Cette problématique, bien que courante dans la vie des affaires, nécessite une maîtrise technique approfondie des règles applicables et des procédures à suivre.

Définition et critères d’irrécouvrabilité des créances


Les fondements légaux de l’irrécouvrabilité

Une créance devient irrécouvrable lorsque sa perte est certaine et définitive, après épuisement de tous les moyens de recouvrement raisonnables. Le simple défaut de paiement ne suffit pas à caractériser l’irrécouvrabilité d’une créance. L’entreprise créancière doit démontrer qu’elle a engagé des démarches substantielles pour obtenir le règlement, incluant les procédures amiables et, le cas échéant, judiciaires.

L’appréciation du caractère irrécouvrable relève essentiellement des circonstances de fait. Les critères retenus par l’administration fiscale et la jurisprudence permettent d’identifier avec précision les situations ouvrant droit à la constatation comptable d’une perte définitive.


Situations caractérisant l’irrécouvrabilité

Plusieurs événements peuvent justifier la qualification d’une créance comme irrécouvrable :

  • Le redressement judiciaire peut également conduire à l’irrécouvrabilité partielle ou totale des créances, notamment lorsque le plan de continuation prévoit des remises de dettes ou des abandons de créances.
  • La disparition du débiteur sans laisser d’adresse constitue un autre cas d’irrécouvrabilité, à condition que des recherches approfondies aient été menées sans succès.
  • Le décès du débiteur peut ouvrir droit à la qualification d’irrécouvrable lorsque la succession s’avère inexistante, insuffisante ou non identifiée.
  • La prescription de la créance au terme du délai légal de cinq ans en matière commerciale rend la créance définitivement irrécouvrable.

Distinction avec les créances douteuses

Les créances douteuses se différencient des créances irrécouvrables par leur caractère incertain. Une créance douteuse présente un risque de non-recouvrement sans pour autant que la perte soit définitivement établie. Cette distinction revêt une importance capitale car seules les créances définitivement irrécouvrables permettent la récupération de la TVA.

La provision pour créances douteuses anticipe une perte probable mais non certaine. Elle constitue une charge déductible fiscalement et permet d’ajuster la valeur des créances au bilan selon le principe de prudence. En revanche, la constatation d’une créance irrécouvrable correspond à l’enregistrement d’une perte définitive et certaine.

Traitement comptable des créances irrécouvrables


Écritures de constatation de l’irrécouvrabilité

Lorsqu’une créance devient définitivement irrécouvrable, l’entreprise doit procéder à sa régularisation comptable selon un schéma précis.

CompteLibelléDébitCrédit
654Pertes sur créances irrécouvrablesMontant HT
44571TVA collectéeMontant TVA
416Clients douteux ou litigieuxMontant TTC

Cette écriture permet de constater la perte sur la créance pour son montant hors taxes tout en récupérant la TVA précédemment collectée.

🧩
Avant la réforme du PCG 2025, le compte 6714 « Créances devenues irrécouvrables dans l’exercice » pouvait être utilisé à la place du compte 654 lorsque la perte revêt un caractère exceptionnel.

Ce n’est plus le cas, le compte 654 reste le seul utilisable.

Traitement des dépréciations antérieures

Si la créance avait fait l’objet d’une dépréciation préalable, celle-ci doit être reprise lors de la constatation définitive de l’irrécouvrabilité. Cette reprise évite la double comptabilisation de la perte.

CompteLibelléDébitCrédit
491Dépréciations des comptes de clientsMontant provisionné
78174Reprises sur dépréciations des créancesMontant provisionné

Cette écriture doit être passée concomitamment à la constatation de la perte irrécouvrable pour assurer la cohérence.

Cas pratique


La société RECOUVREMENT SARL doit traiter plusieurs créances problématiques au 31 décembre N :

Situation :

  • Client MARTIN : créance TTC 12 000 € (dont 2 000 € de TVA), liquidation judiciaire prononcée
  • Client DUBOIS : créance TTC 6 000 € (dont 1 000 € de TVA), dépréciation antérieure de 4 000 €

Traitement comptable :

Pour le client MARTIN (liquidation judiciaire) :

CompteLibelléDébitCrédit
654Pertes sur créances irrécouvrables10 000
44571TVA collectée2 000
416Clients douteux – MARTIN12 000

Pour le client DUBOIS (avec dépréciation antérieure) :

CompteLibelléDébitCrédit
491Dépréciations des comptes clients4 000
78174Reprises sur dépréciations des créances4 000
654Pertes sur créances irrécouvrables5 000
44571TVA collectée1 000
416Clients douteux – DUBOIS6 000

Récupération de la TVA sur créances irrécouvrables


Conditions légales de récupération

La récupération de la TVA sur créances irrécouvrables s’appuie sur l’article 272 du Code général des impôts. Cette faculté ne s’ouvre que lorsque les créances sont devenues définitivement irrécouvrables. La simple constitution d’une provision pour créance douteuse ne permet pas la récupération de la TVA.

L’administration fiscale exige la preuve formelle de l’irrécouvrabilité par la production d’un certificat d’irrécouvrabilité ou de tout document équivalent. Cette exigence vise à éviter les récupérations abusives de TVA sur des créances simplement en retard de paiement.


Formalisme de rectification de la facture initiale

L’entreprise doit respecter un formalisme strict pour récupérer la TVA. Elle doit adresser à son client défaillant un duplicata de la facture originale comportant la mention suivante :

« Facture demeurée impayée pour la somme de …… euros (prix net) et pour la somme de …… euros (TVA correspondante) qui ne peut faire l’objet d’une déduction (CGI, art. 272). »

Cette mention permet d’informer le client qu’il doit reverser au Trésor public la TVA qu’il avait initialement déduite. L’envoi de cette facture rectificative constitue une condition impérative pour la récupération de la TVA.

En présence de plusieurs factures impayées du même client, l’entreprise peut établir un état récapitulatif mentionnant pour chaque facture :

  • Le numéro d’ordre, le libellé et la date de la facture initiale
  • Le montant HT et le montant de la TVA
  • La mention réglementaire prévue à l’article 272 du CGI

Modalités pratiques de récupération

La récupération s’opère par imputation sur la déclaration de TVA mensuelle CA3, ligne 21 « Autre TVA à déduire ». Lorsque l’imputation n’est pas possible, l’entreprise peut solliciter un remboursement direct auprès de l’administration fiscale.

Le délai pour effectuer cette récupération court jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivant celle où l’événement générateur s’est produit. Par exemple, pour une créance devenue irrécouvrable en mai 2024, la récupération doit être demandée avant le 31 décembre 2026.

Foire aux questions (FAQ)


Quelle différence existe-t-il entre une créance douteuse et une créance irrécouvrable ?

Une créance douteuse présente un risque probable mais non certain de non-recouvrement, justifiant la constitution d’une provision. Une créance irrécouvrable correspond à une perte définitive et certaine, après épuisement de tous les moyens de recouvrement. Seule cette dernière permet la récupération de la TVA.

Quand peut-on considérer qu’une créance est définitivement irrécouvrable ?

Une créance devient irrécouvrable dans plusieurs situations : liquidation judiciaire du débiteur, disparition sans laisser d’adresse, décès sans succession identifiée, prescription de cinq ans. Dans tous les cas, l’entreprise doit prouver avoir épuisé les moyens raisonnables de recouvrement.

Le certificat d’irrécouvrabilité est-il obligatoire pour récupérer la TVA ?

Bien que non expressément obligatoire, le certificat d’irrécouvrabilité constitue la preuve la plus sûre du caractère irrécouvrable d’une créance. Il peut être remplacé par tout document équivalent (jugement de liquidation, constat d’huissier), mais sa production sécurise la position de l’entreprise lors des contrôles fiscaux.

Quel délai l’entreprise a-t-elle pour récupérer la TVA sur créances irrécouvrables ?

Le délai court jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivant celle où la créance est devenue irrécouvrable. Par exemple, pour une créance irrécouvrable en 2024, la récupération doit être demandée avant le 31 décembre 2026.

L’envoi du duplicata de facture avec mention rectificative est-il impératif ?

Oui, sauf dans les cas de disparition du débiteur ou de décès sans héritiers connus. Ce duplicata doit comporter la mention : « Facture demeurée impayée pour la somme de … euros (prix net) et pour la somme de … euros (TVA correspondante) qui ne peut faire l’objet d’une déduction (CGI, art. 272) ».

Peut-on constater une créance irrécouvrable sans avoir engagé de poursuites judiciaires ?

Les poursuites judiciaires ne sont pas systématiquement requises si l’irrécouvrabilité résulte d’une cause objective (liquidation judiciaire, disparition, décès). En revanche, pour un simple défaut de paiement, l’entreprise doit démontrer avoir épuisé les voies de recours appropriées.

Comment traiter comptablement une créance partiellement irrécouvrable ?

La partie irrécouvrable fait l’objet d’une écriture de perte (compte 654) avec récupération de la TVA correspondante. La partie restante peut demeurer en créance douteuse avec ajustement de la dépréciation si nécessaire.

Les frais de recouvrement sont-ils déductibles fiscalement ?

Les frais engagés pour tenter de recouvrer une créance (honoraires d’avocat, commissions d’huissier, frais de société de recouvrement) constituent des charges déductibles du résultat imposable au titre de l’exercice de leur engagement.

Conclusion


La gestion des créances irrécouvrables représente un enjeu majeur pour la santé financière des entreprises. Au-delà de l’impact immédiat sur les résultats, leur traitement optimal nécessite une approche méthodique combinant rigueur procédurale, maîtrise technique et anticipation stratégique.

La complexité croissante de la réglementation et l’évolution constante de la jurisprudence nécessitent un accompagnement professionnel adapté. Les experts-comptables et conseils juridiques spécialisés apportent une expertise indispensable pour optimiser le traitement de ces situations délicates et sécuriser les choix stratégiques des entreprises.