L’augmentation de capital par apport en nature : un levier stratégique pour les entreprises

You are currently viewing L’augmentation de capital par apport en nature : un levier stratégique pour les entreprises
  • Auteur/autrice de la publication :
  • Post category:Juridique
  • Dernière modification de la publication :20 juin 2025

L’augmentation de capital constitue une opération stratégique dans la vie d’une entreprise, permettant de renforcer sa structure financière et d’accroître ses moyens d’action. Parmi les différentes modalités d’augmentation de capital, l’apport en nature représente une alternative intéressante à l’apport en numéraire, offrant la possibilité d’intégrer des biens matériels ou immatériels directement dans le patrimoine de l’entreprise.

Qu’est-ce qu’un apport en nature ?


L’augmentation de capital par apport en nature consiste à augmenter le capital social d’une entreprise en y intégrant des biens autres que de l’argent. Ces apports peuvent prendre diverses formes : biens mobiliers (machines, équipements, véhicules), biens immobiliers (terrains, bâtiments), ou encore éléments incorporels (brevets, marques, fonds de commerce). En contrepartie de ces apports, l’apporteur reçoit des titres sociaux (parts sociales ou actions) qui lui confèrent des droits au sein de la société.

Contrairement à l’apport en numéraire qui implique un versement d’argent, l’apport en nature permet d’enrichir directement le patrimoine de l’entreprise avec des actifs opérationnels ou stratégiques. Cette modalité d’augmentation de capital est particulièrement adaptée lorsque l’entreprise souhaite étendre ses activités à d’autres secteurs ou intégrer des ressources spécifiques sans mobiliser sa trésorerie.


Caractéristiques essentielles :

Pour être valable, un apport en nature doit répondre à plusieurs critères fondamentaux :

  • Il doit être cessible et présenter une valeur pécuniaire
  • Il doit être disponible immédiatement pour la société
  • Il doit faire l’objet d’une évaluation précise et objective
  • Il doit être intégralement libéré dès la souscription

À la différence des apports en numéraire qui peuvent être libérés partiellement lors de la souscription, les apports en nature doivent être mis à la disposition de la société dès leur émission. Cela signifie que l’apporteur doit transférer la propriété du bien à la société immédiatement, sans possibilité de différer ce transfert.

Procédure juridique de l’augmentation de capital par apport en nature


La réalisation d’une augmentation de capital par apport en nature suit un processus rigoureux, encadré par des dispositions légales précises.

1. Évaluation des biens apportés par un commissaire aux apports

L’intervention d’un commissaire aux apports prévu à l’article L225-147 du Code de Commerce constitue une étape cruciale et généralement obligatoire dans le processus d’augmentation de capital par apport en nature. Ce professionnel indépendant a pour mission d’évaluer objectivement la valeur des biens apportés, afin d’éviter toute surévaluation qui pourrait nuire aux intérêts des créanciers ou des autres associés.

Le commissaire aux apports est nommé soit par décision unanime des associés, soit par le président du tribunal de commerce sur requête d’un associé ou du gérant. Il doit remettre un rapport détaillé au greffe du tribunal de commerce au moins 8 jours avant la date de l’assemblée générale appelée à statuer sur l’augmentation de capital.


2. Convocation et tenue des assemblées générales

En principe, deux assemblées générales extraordinaires (AGE) sont nécessaires :

  • La première AGE fixe les modalités de l’augmentation de capital (montant, nombre de titres émis, etc.)
  • La seconde AGE constate la réalisation définitive de l’opération
🧩
En pratique, pour gagner du temps, ces deux étapes peuvent être regroupées en une seule assemblée si tous les associés sont présents.

3. Formalités légales et publicité

Une fois l’augmentation de capital approuvée, plusieurs formalités doivent être accomplies :

  • Publication d’un avis dans un journal d’annonces légales
  • Dépôt d’un dossier de modification au greffe du tribunal de commerce
  • Enregistrement de l’opération auprès du service des impôts
  • Mise à jour des statuts de la société

Le tableau ci-dessous récapitule les principales étapes et délais à respecter :

ÉtapeDélaiResponsable
Nomination du commissaire aux apportsAvant l’évaluation des biensAssociés ou tribunal de commerce
Dépôt du rapport d’évaluationAu moins 8 jours avant l’AGECommissaire aux apports
Tenue de l’AGEDate fixée par les dirigeantsDirigeants de la société
Publication de l’annonce légale1 mois après la décision d’AGEReprésentant légal
Dépôt au greffeAprès publication de l’annonceReprésentant légal
Enregistrement aux impôts1 mois après constatation de l’augmentationReprésentant légal

Aspects comptables de l’augmentation de capital par apport en nature


Calcul de la prime d’apport

Lors d’une augmentation de capital par apport en nature, la différence entre la valeur réelle des biens apportés et la valeur nominale des titres émis constitue la prime d’apport. Cette prime représente en quelque sorte un droit d’entrée que paient les nouveaux associés pour rejoindre la société.

Exemple :

Imaginons la société INNOVATECH, dont les caractéristiques sont les suivantes :

  • Capital social : 50 000 €
  • Nombre d’actions : 5 000
  • Valeur nominale d’une action : 10 €
  • Fonds propres : 150 000 €
  • Valeur réelle d’une action : 30 € (150 000 € / 5 000)

Un nouvel associé souhaite apporter un brevet évalué à 60 000 € par le commissaire aux apports.

Le nombre d’actions à émettre sera de : 60 000 € / 30 € = 2 000 actions
L’augmentation de capital nominal sera de : 2 000 × 10 € = 20 000 €
La prime d’apport sera donc de : 60 000 € – 20 000 € = 40 000 €

Exemple complet :


Prenons l’exemple de la société TECHNOVATION, spécialisée dans le développement de solutions informatiques. Son capital s’élève à 100 000 € divisé en 10 000 actions de 10 € chacune. La valeur réelle de l’action est estimée à 25 €.

M. DUPONT, expert en intelligence artificielle, souhaite rejoindre la société en apportant un algorithme breveté évalué à 75 000 € par un commissaire aux apports.

Le nombre d’actions à créer sera de : 75 000 € / 25 € = 3 000 actions
L’augmentation de capital nominal sera de : 3 000 × 10 € = 30 000 €
La prime d’apport sera de : 75 000 € – 30 000 € = 45 000 €

Les écritures comptables seront les suivantes :

Enregistrement de l’augmentation de capital

CompteLibelléDébitCrédit
45611Actionnaires – Apports en nature75 000
1012Capital souscrit – appelé, non versé30 000
1043Prime d’apport45 000

Enregistrement de l’apport en nature

CompteLibelléDébitCrédit
205Concessions et droits similaires75 000
45611Actionnaires – apports en nature75 000

Constatation de la libération du capital

CompteLibelléDébitCrédit
1012Capital souscrit – appelé, non versé30 000
1013Capital souscrit – appelé, versé30 000

Suite à cette opération, M. DUPONT détient 23% du capital de TECHNOVATION (3 000 actions sur un total de 13 000) et la société a intégré un actif stratégique sans débourser de liquidités.

Cas particuliers et situations spécifiques


Apport d’un bien immobilier

L’apport d’un bien immobilier nécessite des formalités supplémentaires, notamment la rédaction d’un acte authentique devant notaire et l’accomplissement de formalités auprès du service de publicité foncière. Des droits d’enregistrement peuvent également être exigibles, bien que certains régimes de faveur puissent s’appliquer selon les circonstances.

Apport de titres ou de fonds de commerce

L’apport de titres (actions, parts sociales) ou d’un fonds de commerce implique également des formalités spécifiques, comme la signification de la cession aux débiteurs pour les créances ou la publication d’un avis dans un journal d’annonces légales pour le fonds de commerce.

Situation des associés mariés sous un régime de communauté

Lorsque l’apport en nature est effectué par une personne mariée sous un régime de communauté, l’époux doit autoriser l’apport et renoncer à devenir personnellement associé. À défaut, la qualité d’associé lui est attribuée pour la moitié des titres souscrits.

Foire aux questions (FAQ)


Quels types de biens peuvent faire l’objet d’un apport en nature ?

Tous les biens ayant une valeur économique et pouvant être cédés peuvent faire l’objet d’un apport en nature : immeubles, matériel, brevets, marques, fonds de commerce, titres, créances, etc. En revanche, les services futurs ou le travail ne peuvent pas constituer un apport en nature.

L’intervention d’un commissaire aux apports est-elle toujours obligatoire ?

En principe, l’intervention d’un commissaire aux apports est obligatoire pour évaluer les biens apportés. Toutefois, dans certains cas, les associés peuvent décider à l’unanimité de ne pas y recourir, notamment lorsque la valeur des biens n’excède pas 30 000 € et que le total des apports en nature ne dépasse pas la moitié du capital social.

Comment est calculée la prime d’apport ?

La prime d’apport correspond à la différence entre la valeur réelle des biens apportés et la valeur nominale des titres émis en contrepartie. Elle permet d’équilibrer les droits des anciens et des nouveaux associés en tenant compte de la valeur réelle de l’entreprise.

Quelles sont les conséquences fiscales d’une augmentation de capital par apport en nature ?

Les conséquences fiscales varient selon la nature des biens apportés. Pour les immeubles et fonds de commerce, des droits d’enregistrement peuvent être exigibles. Concernant les plus-values, des régimes de faveur peuvent s’appliquer sous certaines conditions.

Peut-on réaliser une augmentation de capital par apport en nature si le capital initial n’est pas entièrement libéré ?

Oui, il est possible de réaliser une augmentation de capital par apport en nature même si le capital initial n’est pas entièrement libéré. Cette particularité distingue l’apport en nature de l’apport en numéraire, pour lequel le capital initial doit généralement être intégralement libéré avant toute augmentation.

Comment s’effectue le transfert de propriété des biens apportés ?

Le transfert de propriété s’effectue au moment de la constatation définitive de l’augmentation de capital. Pour certains biens, des formalités supplémentaires sont nécessaires : acte notarié pour les immeubles, signification aux débiteurs pour les créances, etc.

Quels sont les risques juridiques liés à une surévaluation des apports en nature ?

Une surévaluation des apports en nature peut engager la responsabilité solidaire des dirigeants et des apporteurs pendant 5 ans à compter de la réalisation de l’opération. De plus, les associés qui attribuent aux apports une valeur supérieure à leur valeur réelle encourent des sanctions pénales pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende.

L’augmentation de capital par apport en nature modifie-t-elle les droits des associés existants ?

Oui, l’augmentation de capital par apport en nature peut modifier la répartition des droits de vote et des droits aux dividendes entre les associés. C’est pourquoi il est important de bien évaluer les conséquences de l’opération sur l’équilibre des pouvoirs au sein de la société.

Peut-on combiner différentes modalités d’augmentation de capital ?

Oui, il est tout à fait possible de combiner différentes modalités d’augmentation de capital, par exemple en réalisant simultanément des apports en numéraire et des apports en nature. Chaque type d’apport suivra alors les règles qui lui sont propres.

Comment comptabiliser les frais liés à l’augmentation de capital par apport en nature ?

Les frais liés à l’augmentation de capital (honoraires du commissaire aux apports, frais de publication, etc.) peuvent être soit comptabilisés en charges, soit imputés sur la prime d’apport. Cette dernière solution constitue la méthode préférentielle sur le plan comptable.

Conclusion


L’augmentation de capital par apport en nature constitue un mécanisme financier et juridique particulièrement intéressant pour les entreprises souhaitant renforcer leur structure financière tout en acquérant des actifs stratégiques. Elle permet d’intégrer au patrimoine de l’entreprise des biens matériels ou immatériels sans mobiliser de trésorerie, ce qui préserve les liquidités de l’entreprise pour d’autres investissements.

Toutefois, cette opération nécessite le respect d’un formalisme rigoureux, notamment en ce qui concerne l’évaluation des biens apportés par un commissaire aux apports. Une attention particulière doit également être portée aux aspects fiscaux, qui peuvent varier selon la nature des biens apportés et les caractéristiques de l’opération.