L’augmentation de capital par apport en numéraire constitue l’une des opérations financières les plus courantes dans la vie des sociétés. Cette démarche, qui consiste à accroître le capital social grâce à de nouvelles liquidités, répond à des enjeux stratégiques majeurs pour le développement et la pérennité des entreprises. Dans un contexte économique où l’accès au financement demeure crucial, maîtriser les aspects juridiques, comptables et fiscaux de cette opération s’avère indispensable pour tout professionnel accompagnant les dirigeants d’entreprise.
Sommaire
Définition et contexte juridique
Nature de l’opération
L’augmentation de capital en numéraire se définit comme un apport de liquidités réalisé par les associés ou actionnaires existants, ou par de nouveaux investisseurs, en contrepartie de la création de nouveaux titres sociaux. Cette opération peut prendre deux formes distinctes : l’émission d’actions nouvelles ou l’augmentation de la valeur nominale des titres existants.
La réglementation impose que le capital social existant soit intégralement libéré avant toute augmentation par apport en numéraire. Cette condition préalable garantit la solidité financière de l’opération et protège les intérêts des créanciers.
Conditions préalables et formalités décisionnelles
La décision d’augmentation de capital relève de la compétence exclusive de l’assemblée générale extraordinaire (AGE). Cette exigence s’explique par la nature exceptionnelle de l’opération qui modifie les statuts de la société. Le processus décisionnel comprend généralement deux étapes : une première décision autorisant l’augmentation dans son principe et fixant le cadre de l’opération, puis une seconde constatant la réalisation effective de l’augmentation.
Forme sociale | Organe décisionnaire | Majorité requise |
---|---|---|
SARL | AGE des associés | Majorité des 3/4 des parts sociales pour les SARL crées avant 2005 et 2/3 pour celles crées après 2005* |
SA | AGE des actionnaires | Majorité des 2/3 des voix* |
SAS | Collectivité des associés | Selon modalités statutaires* |
*En cas d’augmentation de capital par augmentation de la valeur nominal des titres, une décision unanime des associés est nécessaire.
Le prix d’émission et la prime d’émission
Détermination du prix d’émission
Le prix d’émission des nouvelles actions constitue un élément central de l’opération. Il doit respecter une double contrainte : être au minimum égal à la valeur nominale (limite juridique) et ne pas excéder la valeur réelle de l’action (limite économique).
La valeur réelle s’apprécie selon différentes méthodes d’évaluation : valeur mathématique comptable, valeur intrinsèque basée sur les capitaux propres, ou méthodes d’actualisation des flux futurs. Pour une société cotée, le cours de bourse constitue généralement une référence, bien qu’il puisse être ajusté en fonction des conditions de marché.
Exemple pratique :
Soit une société au capital de 100 000 € composé de 1 000 actions de 100 € de valeur nominale. Les capitaux propres s’élèvent à 250 000 € (capital + réserves de 150 000 €). La valeur mathématique comptable par action est donc de 250 €.
En cas d’augmentation de capital par émission de 200 nouvelles actions, le prix d’émission pourrait être fixé à 220 € (supérieur à la valeur nominale de 100 € et inférieur à la valeur réelle de 250 €).
La prime d’émission : calcul et comptabilisation
La prime d’émission représente la différence entre le prix d’émission et la valeur nominale des actions nouvelles. Elle traduit la valeur des droits que les nouveaux actionnaires acquièrent sur les réserves et plus-values latentes de la société.
Éléments | Montants |
---|---|
Prix d’émission par action | 220 € |
Valeur nominale par action | 100 € |
Prime d’émission unitaire | 120 € |
Nombre d’actions nouvelles | 200 |
Prime d’émission totale | 24 000 € |
Le droit préférentiel de souscription (DPS)
Principe du DPS
Le droit préférentiel de souscription constitue un mécanisme de protection des actionnaires existants contre la dilution. Prévu par l’article L.225-132 du Code de commerce, ce droit permet à chaque actionnaire de souscrire aux actions nouvelles proportionnellement à sa participation dans le capital.
Le DPS revêt un caractère négociable et cessible, offrant ainsi une compensation financière aux actionnaires qui ne souhaitent pas participer à l’augmentation de capital. La négociation de ces droits s’effectue pendant toute la durée de la souscription.
Calcul de la valeur théorique du DPS
La valeur théorique du DPS correspond à la perte de valeur que subit chaque action ancienne du fait de l’émission d’actions nouvelles à un prix inférieur à leur valeur réelle.
Formule de calcul :
Exemple d’application :
Éléments | Avant augmentation | Après augmentation |
---|---|---|
Nombre d’actions | 1 000 | 1 200 |
Valeur par action | 250 € | 233,33 € |
Valeur totale | 250 000 € | 280 000 € |
Calcul de la valeur du DPS : 250 € – 233,33 € = 16,67 € par droit.
Pour une compréhension complète, il est nécessaire de reconstituer certaines informations :
- Apport total des nouveaux actionnaires = 280 000 € – 250 000 € = 30 000 €
- Nombre d’actions nouvelles : 1 200 – 1 000 = 200 actions
- Prix d’émission : (280 000 – 250 000) / 200 = 150 € par action nouvelle
- Rapport d’échange : 1 000 DPS pour 200 actions nouvelles = 5 DPS pour 1 action nouvelle
La valeur du DPS peut donc se calculer comme suit :
La valeur totale après augmentation est donc de :
- (1 000 actions × 250 €) + (200 actions × 150 €) = 250 000 € + 30 000 € = 280 000 €
- Valeur par action après = 280 000 € ÷ 1 200 actions = 233,33 €
Mécanisme de compensation
Le DPS fonctionne selon un principe d’équivalence économique. Un actionnaire ancien qui ne souhaite pas participer à l’augmentation de capital doit pouvoir compenser sa perte par la vente de ses droits.
Un actionnaire possédant 5 actions avant l’augmentation :
- Valeur initiale de son portefeuille : 5 × 250 € = 1 250 €
- Valeur après augmentation (sans compensation) : 5 × 233,33 € = 1 166,65 €
- Perte potentielle : 1 250 € – 1 166,65 € = 83,35 €
- Compensation par la vente des DPS : 5 × 16,67 € = 83,35 €
Un investisseur souhaitant acquérir une action nouvelle doit :
- Payer le prix d’émission : 150 €
- Acquérir 5 DPS au prix unitaire de 16,67 € : 5 × 16,67 € = 83,35 €
- Coût total : 150 € + 83,35 € = 233,35 € ≈ 233,33 € (valeur après augmentation)
Modalités de libération selon la forme sociale
Différences selon le type de société
Les modalités de libération varient significativement selon la forme juridique de la société. Cette différenciation reflète les spécificités de chaque statut et les exigences légales correspondantes.
Type de société | Libération minimum | Prime d’émission | Délai de libération |
---|---|---|---|
SA / SAS | 25% de la valeur nominale | 100% à la souscription | 5 ans maximum |
SARL / EURL | 25% de la valeur nominale | Selon modalités statutaires | 5 ans maximum |
Procédure d’appel et de libération
La libération s’effectue en deux temps : la souscription initiale et les appels ultérieurs. Pour la fraction non appelée, la société dispose d’un délai de 5 ans pour procéder aux appels de fonds. Cette flexibilité permet d’adapter le rythme de libération aux besoins de trésorerie de l’entreprise.
Comptabilisation de l’augmentation de capital
La société INNOVTECH, société anonyme au capital de 400 000 € composé de 4 000 actions de 100 € de valeur nominale, souhaite financer son développement par une augmentation de capital en numéraire. Les capitaux propres de la société s’élèvent à 720 000 € (capital + réserves de 320 000 €).
L’assemblée générale extraordinaire du 15 janvier N a décidé d’augmenter le capital par l’émission de 1 000 actions nouvelles de 100 € de valeur nominale au prix d’émission de 160 €. La libération s’effectuera selon les modalités légales : 25% de la valeur nominale plus la prime d’émission intégrale à la souscription.
La valeur mathématique comptable par action avant l’augmentation est de 180 € (720 000 € ÷ 4 000 actions). L’opération génère des frais d’augmentation de capital de 8 000 € HT que la société souhaite imputer sur la prime d’émission.
Calcul du droit préférentiel de souscription (DPS)
Éléments | Nombre d’actions | Valeur unitaire | Valeur totale |
---|---|---|---|
Actions anciennes | 4 000 | 180 € | 720 000 € |
Actions nouvelles | 1 000 | 160 € | 160 000 € |
Total après augmentation | 5 000 | 176 € | 880 000 € |
Méthode directe :
- DPS = Valeur avant – Valeur après
- DPS = 180 € – 176 € = 4 € par droit
Vérification par la méthode proportionnelle :
- DPS = (1 000 × (180 – 160)) ÷ (4 000 + 1 000)
- DPS = (1 000 × 20) ÷ 5 000 = 4 € par droit
Rapport d’échange et vérification économique :
Le rapport d’échange est de 4 000 ÷ 1 000 = 4 DPS pour 1 action nouvelle.
Vérification pour un nouvel actionnaire :
- Prix d’émission : 160 €
- Achat de 4 DPS : 4 × 4 € = 16 €
- Coût total : 160 € + 16 € = 176 €
Calcul des éléments comptables
Prime d’émission et modalités de libération :
- Prime d’émission unitaire : 160 € – 100 € = 60 € par action
- Prime d’émission totale : 1 000 × 60 € = 60 000 €
- Apport total : 1 000 × 160 € = 160 000 €
Libération immédiate :
- Capital appelé : 1 000 × 25 € = 25 000 €
- Prime d’émission : 60 000 €
- Total libéré : 85 000 €
Capital non appelé : 1 000 × 75 € = 75 000 €
Comptabilisation de l’augmentation de capital
Écriture d’encaissement des fonds libérés : (on peut également d’abord passer une écriture avec un 467 au débit et un 4563 au crédit à la date du procès verbal d’AGE et passer l’écriture suivante 512/467 à la date du versement).
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
512 | Banque | 85 000 € | |
4563 | Associés – Versements reçus sur augmentation de capital | 85 000 € |
Écriture de constatation de l’augmentation de capital :
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
4563 | Associés – Versements reçus sur augmentation de capital | 85 000 € | |
109 | Actionnaires – Capital souscrit non appelé | 75 000 € | |
1013 | Capital souscrit appelé versé | 25 000 € | |
1041 | Prime d’émission | 60 000 € | |
1011 | Capital souscrit non appelé | 75 000 € |
Comptabilisation de libération ultérieure
Prenons l’hypothèse dans laquelle 01/09/N, un quart est appelé (25 000 €) ; les fonds sont versés le 15/09/N
Le 01/09/N :
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
4563 | Associés – Versements reçus sur augmentation de capital | 25 000 € | |
109 | Actionnaires – Capital souscrit non appelé | 25 000 € |
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
1011 | Capital souscrit non appelé | 25 000 € | |
1012 | Capital souscrit appelé, non versé | 25 000 € |
Le 15/09/N :
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
512 | Banque | 25 000 € | |
4563 | Associés – Versements reçus sur augmentation de capital | 25 000 € |
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
1012 | Capital souscrit appelé, non versé | 25 000 € | |
1013 | Capital souscrit appelé, versé | 25 000 € |
Traitement des frais d’augmentation de capital (imputation sur prime d’émission)
Frais d’augmentation : 8 000 € HT
Économie d’impôt (25%) : 2 000 €
Imputation nette : 6 000 €
Compte | Libellé | Débit | Crédit |
---|---|---|---|
1041 | Prime d’émission (frais nets d’IS) | 6 000 € | |
695 | Impôt sur les bénéfices | 2 000 € | |
512 | Banque | 8 000 € |
Analyse de l’impact sur la structure actionnariale
Dilution des participations existantes :
Exemple d’un actionnaire détenant 800 actions (20% du capital) :
Situation | Avant augmentation | Après augmentation |
---|---|---|
Nombre total d’actions | 4 000 | 5 000 |
Participation de l’actionnaire | 800 actions (20%) | 800 actions (16%) |
Valeur du portefeuille | 144 000 € | 140 800 € |
Compensation par DPS | – | 3 200 € (800 × 4 €) |
Valeur totale compensée | 144 000 € | 144 000 € |
Options pour l’actionnaire existant
Option 1 : Souscription proportionnelle
- Souscription de 200 actions nouvelles (800 ÷ 4)
- Investissement : 200 × 160 € = 32 000 €
- Maintien à 20% du capital (1 000 actions sur 5 000)
Option 2 : Vente des DPS
- Vente de 800 DPS à 4 € = 3 200 € de compensation
- Participation réduite à 16% mais valeur patrimoniale préservée
Foire aux questions (FAQ)
Quel est le délai minimum pour exercer son droit préférentiel de souscription ?
Le délai minimum légal est de 5 jours de bourse pour les sociétés cotées, mais peut être plus long selon les modalités fixées par l’assemblée générale.
Peut-on réaliser une augmentation de capital si le capital existant n’est pas entièrement libéré ?
Non, la libération intégrale du capital existant constitue un préalable obligatoire à toute augmentation par apport en numéraire.
Comment calculer la valeur théorique du droit préférentiel de souscription ?
La valeur théorique correspond à la différence entre la valeur de l’action avant et après l’augmentation de capital.
Quelle est la différence entre augmentation par émission d’actions nouvelles et par augmentation de la valeur nominale ?
L’émission d’actions nouvelles crée de nouveaux titres, tandis que l’augmentation de la valeur nominale augmente la valeur des titres existants sans modifier leur nombre.
Les frais d’augmentation de capital sont-ils déductibles fiscalement ?
Oui, ils bénéficient d’une déductibilité immédiate s’ils sont imputés sur la prime d’émission ou enregistrés en charges.
Peut-on supprimer le droit préférentiel de souscription ?
Oui, mais cette suppression doit être expressément décidée par l’assemblée générale extraordinaire et justifiée par l’intérêt de l’entreprise.
Quel est le délai maximum pour libérer le capital non appelé ?
Le délai maximum est de 5 ans à compter de la décision d’augmentation de capital.
Comment traiter comptablement la prime d’émission ?
La prime d’émission est comptabilisée au crédit du compte 1041 et doit être le plus souvent intégralement libérée dès la souscription.
Comment évaluer l’impact de la dilution sur les actionnaires existants ?
L’impact se mesure par la différence de pourcentage de détention avant et après l’opération, compensée le cas échéant par la valeur du droit préférentiel de souscription (DPS).
Conclusion
L’augmentation de capital par apport en numéraire demeure un outil financier incontournable pour accompagner la croissance des entreprises. Sa mise en œuvre requiert une parfaite maîtrise des aspects juridiques, comptables et fiscaux pour sécuriser l’opération et optimiser ses effets. La protection des droits des actionnaires existants, notamment par le mécanisme du droit préférentiel de souscription, constitue un enjeu majeur qui nécessite une attention particulière.